Duo au bord du ruisseau

Ils s'étaient promis une balade ensemble près du ruisseau à leur retour à Plérin, ce que la sauvage intendante attendait impatiemment. Elle avait hâte de découvrir cette petite forêt, de profiter d'un repos bien mérité après la mission à Avranches et simplement jouir de la beauté de la nature en cette saison. Et tout cela avec lui plus particulièrement.
Revêtue de braies noires, bottes de chasse et ample chemise blanche, besace remplie de bric à brac et de victuailles, et toujours coiffée de longues tresses pour maîtriser sa folle chevelure rousse, Isild faisait les cents pas à l'orée des bois. Les rayons du soleil perçaient à travers les feuillages et réchauffaient son visage, illuminé d'un grand sourire en réponse à leur douce caresse.

Les yeux clos et les oreilles à l'affût, elle guettait le bruit des pas d'Olixius dans la musique des sons de tout ce qui l'entourait.

Un pas pressé parvint à ses oreilles, et sans ouvrir les yeux, un grand sourire ravi se dessina sur son visage.
Puis se tournant dans la direction où il finit par apparaître, elle lui adressa un regard joyeux et rassuré.

Bien sûr que je suis là! J'avais peur que ce soit toi qui oublie... Et au fait, j'ai apporté de quoi goûter près du ruisseau si ça te dit.

Le voyant une main dans le dos, sa curiosité fut piquée à vif et elle accouru gaiement vers lui.

Mais qu'est-ce-que tu caches? dit-elle en essayant de se faufiler derrière lui par jeu.

Oh, parfait, belle idée. Ainsi, tu as trouvé le ruisseau ? Ca va nous changer de la mer un peu d'eau.

Il rit alors qu'il tourne sur lui-même pour faire écran entre elle et la fleur.

Je t'ai pris quelque chose, mais malgré quelques parties acérées, j'ai peur que ton côté guerrière ne s'offusque de tant d'attention.
Ou ptête que non, après tout.

Il sourit et découvre subitement sa main qui lui tend la rose. Puis regardant autour d'eux,

Me disait qu'un peu de rouge dans toute cette verdure.
C'est pour toi, Isi.
Et laisse-moi prendre ta besace, faible femme. termine-t-il, en riant et en faisant mine de l'entraîner dans la forêt.

Hum oui ça nous changera! répondit-elle en riant aux éclats.

Et non je ne l'ai pas trouvé mais aperçu je pense depuis le sud. Mais je te fais confiance pour nous guider dans ta forêt mon cher Baron! dit-elle narquoise.

Puis lorsqu'il lui tendit la rose, peu sûr de son geste, elle la lui prit des mains doucement en lui collant un baiser au coin des lèvres.

Mais si c'est très gentil... Et au risque de paraître femelle trop romantique et "faible" comme tu dis, je prends la rose... mais je garde la besace!

Et rieuse et enjouée elle entra avec lui dans la belle forêt, à l'ombre des grands arbres.

Il sourit, alors qu'ils pénètrent dans la forêt.

Bon, bé, garde tout, la rose, la besace, le chien, la vaisselle...

Il rigole en détaillant les arbres qui les recouvrent de leur ombre.
Oui, oui, le ruisseau... b'sur que je vais le retrouver...

Des arbres, des buissons, des arbres, des buissons... un vieux sentier recouvert par la végétation.
Enfin, normalement... Vers le Sud, tu dis ?

Scintillement du soleil au travers des branchages légèrement sur leur gauche, en début d'après-midi, cogitation rapide,
Faut qu'on prenne légèrement vers le soleil.
Tu vois quelque chose ?

Oui il me semble bien que c'est... vers le Sud...

Regard qui scrutait dans tous les sens, à l'affût d'un indice.

Oui allons vers le soleil.

Ils marchèrent ainsi face à la douce chaleur du soleil, la rousse lui adressant des petits sourires mutins et des regards complices du coin de l'oeil. Au bout d'un petit moment, la sauvageonne entendit un léger bruit d'écoulement et s'exclama:

Par là! Tu l'entends? Premier arrivé!!

Et Isild partit dans une folle course à travers la forêt. Guidée par son ouïe, ses longues jambes agiles galopant à tout allure, elle riait aux éclats en le cherchant du regard derrière elle entre les arbres.

Et paf ! Après multes hésitations, interrogations, scrutations, démarrage au quart de tour de son intendante surentraînée.

J'cours jamais pendant les deuils Grand Ducaux, moâââ !

Trop tard. L'agile Isild crapahute déjà loin devant. Dommage, elle était bien son excuse. Et de circonstance.
Alors, sans la perdre de vue, il accélère le pas, et prend à travers chemins. Ses mains dégagent les branches qui altèrent sa progression. Il ne s'attarde pas sur sa prise manquée qui lui vaut un retour de branche sur le nez. Outch.. Sans la perdre de vue alors qu'elle touche presque au but, il se bat avec les derniers branchages qui lui font barrage, puis finit par la rejoindre après sa laborieuse progression.
Il se débarrasse des quelques résidus de feuilles et d'épines sur ses manches et épaules.

Ca faisait longtemps que je n'avais pas laissé gagner quelqu'un. Content que ce soit toi.

Il rit doucement, puis porte son regard sur le ruisseau qui coule à leurs pieds avant de relever les yeux vers elle.

Lancée dans sa course comme une flèche elle ne s'arrêta qu'une fois le ruisseau à ses pieds, de justesse, un peu plus et c'était le dérapage les pieds dans l'eau.

Et lorsque Oli arriva, sa démarche maladroite et sa dignité de Baron fustigée par les branches, elle éclata de rire tout en venant l'aider à se débarrasser des feuilles et des brindilles qui témoignaient de son parcours du combattant.

Tu m'as laissé gagné mais oui, dit-elle amusée, tu as le nez tout rouge hihi!

Après l'avoir épousseté un peu, elle admira les alentours et la petite rivière qui s'écoulait devant eux. Une envie de se rafraîchir se fit soudainement sentir. La rousse enleva ses bottes et glissa ses pieds nus sur la surface de l'onde, avant de les plonger complètement dans l'eau fraîche.

Ahh voilà, on l'a trouvé notre ruisseau. Grand sourire à son Baron.

Elle marchait dans le ruisseau en regardant les petites choses vivantes fuirent ses pieds sous l'eau, tenant le bas de ses braies sur ses cuisses pour ne pas les laisser trempées. Elle était aussi paisible qu'elle savait l'être, ce qui était assez rare pour la sauvage, et elle profitait de cette quiétude avec bonheur, ne sachant pas si c'était le moment, le lieu ou tout simplement le fait d'être avec lui qui lui apportait ce sentiment.

Tu m'apprendrais à tirer à l'arc ?

La question la sortit de sa contemplation. E levant les yeux sur lui, elle afficha un grand sourire à la fois contente et curieusement surprise.

Bien sûr. Pour quelle utilisation? La chasse, la guerre...?

Il sourit en la voyant s'attarder sur les nuages d'alevins. Les plus organisés et compacts d'entre eux donnant parfois l'illusion d'un gros poisson à leurs potentiels prédateurs. Mais pour l'heure, leur fuite prudente était plutôt désordonnée.
Il remarqua un trou d'eau un peu plus profond dans lequel il se glissa, tout en veillant à ne pas glisser sur une pierre recouverte de micro algues qui gisait à plat sur le fond,

La chasse, plutôt. Ou du moins son utilisation tout simplement. Pour la guerre, je suppose qu'un baron ne peut se battre qu'épée à la main, à cheval ou en corps-à-corps. L'art de la guerre, la chevalerie, toussa...

Il sourit, tout en l'invitant à le rejoindre,

Il y a un peu plus d'eau ici, tu viens ? avant de poursuivre,
Et puis, on m'a parlé d'une vieille cabane de chasse dans cette forêt, ce sera l'occasion de la chercher.

Il n'évoqua pas la dernière raison de sa demande, sans doute la principale et celle à laquelle il était le plus attaché.

Isild l'écoutait tout en crapahutant dans le ruisseau. Elle défit sa ceinture où pendait sa dague, qu'elle jeta sur la berge, de peur de rouiller la lame. Puis elle le rejoignit dans le trou d'eau, remontant encore un peu ses braies en prenant bien garde de ne pas glisser.

D'accord. Je t'apprendrais tout ce que je sais le plus possible de toute façon, tu n'auras qu'à me demander quand tu voudras approfondir ou pas certains aspects de la technique. Je pourrais aussi te faire ton propre arc si tu veux, lui dit-elle souriante.

Puis elle s'installa près de lui dans le trou d'eau.

Et après on pourrait organiser des parties de chasse dans le domaine. Cela exercerait tout le monde, tous ensemble ou en petits groupes. Qu'en dis-tu?

Elle l'écoutait tout sourire. Des parties de chasse en forêt était une idée qui l'enchantait. Cela lui rappelait sa vie d'avant, avant le Plérin et ses gens, et avant lui.

Et bien il y a sûrement des choses que tu sais faire dont je ne sais rien. Mais comme ça je dirais la navigation, dit-elle en calant sa joue contre la main qui la caressait.

Puis le voyant indifférent à prendre soin des apparences et amusé de la voir tenir ses vêtements hors de l'eau, alors qu'elle tentait l'effort de faire la proprette demoiselle, elle fit une moue et laissa tomber ses braies dans l'eau d'un geste. La sauvageonne se laissa donc aller à son naturel.

Bon puisque c'est comme ça, cher Bâââron! Moi, j'enlève le bas.

Et elle joignit le geste à la parole et retira ses braies un peu mouillées, la chemise blanche si ample qu'elle tombait jusque sur la moitié de ses petites cuisse de nymphe. Puis la rouquine étala ses braies sur le bord et revint près de lui.

Il rit en la regardant faire, non sans sentir un léger trouble qu'il chassa immédiatement en cherchant un rocher à peine recouvert par l'eau sur lequel il s'assit. Braies blanches de deuil qui ne manqueraient pas d'arborer le souvenir des sédiments brassés par l'eau quand il se redresserait. Mais qu'importait.
Sa main l'invita à le rejoindre,

Concernant la navigation, tu sais que tu n'as qu'à me demander, dit-il en regardant l'eau qui filait devant eux. Et puis, tu te forges déjà une petite expérience. Tu en es déjà à deux voyages, mine de rien.

Une éphémère pensée pour l'Amirauté qu'il s'empressa de mettre de côté. Naviguer entre devoirs, désirs, impératifs et envies, ou sa perpétuelle quadrature du cercle.

... assez courts, certes. J'espère d'ailleurs que bientôt on pourra faire un grand voyage. Un vrai, pour de l'inconnue. De la vraie.
Là où ça cause anglois, ou françoys avec des accents chauds. Voir même au delà des Alpes, là où ça cause avec les mains.

Isild prit la main qu'il lui tendait et s'installa sur le rocher à ses côtés. Elle l'écoutait en posant sa tête contre lui, acquiesçant par des murmures. Elle eut un petit rire quand il parla de voyager vers ces pays du sud.

Oui j'aimerais bien faire un très long voyage en mer, là où je ne connais encore rien. De l'aventure de la vraie! dit-elle dans un grand sourire.

Et elle ajouta sur un ton plus bas, l'esprit ailleurs:

Mais il y a tant de choses à faire avant tout cela...

Chassant cette mélancolie doublée de son éternelle impatience, elle lui demanda alors plus joyeusement:

Dis-moi, à part la navigation, as-tu un des talents cachés qu'il me reste à découvrir?

Oui, tant à faire... Et tant de choses à ordonner et organiser.

Le marin l'observa s'assombrir quelques instants. Il se redressa alors pour se glisser et s'asseoir derrière elle, ses mains légèrement mouillées se posèrent sur sa nuque qu'elles commencèrent à masser.

Des talents cachés ? Mhh, non, aucun, dit il, alors que ses doigts vagabondaient sur ses trapèzes.
La course en forêt ptête ! Mais difficile d'en juger vu que je ne voulais pas te voler la victoire.

Il rit quelques instants, avant de poursuivre tout en continuant à la masser, Tu ne m'as pas dit au fait ce que tu devais aller régler avec ton oncle... A chaque fois, tu t'es tue... Et pourtant, je vois bien que ça a l'air d'être important...

Elle fermait les yeux en l'écoutant, tandis qu'elle savourait le contact de ses mains qui la massaient. Ces mains qu'elle aimait et commençait à connaître par coeur, chaudes et rugueuses par endroit.

Il faudra réitéré cette course alors, et cette fois tu me feras l'honneur de donner tout ce que t'as Baron! dit-elle en riant avec lui.

Puis lorsqu'il posa finalement LA question, ce qui la perturbait parfois depuis quelques temps, elle pencha sa tête en arrière pour la reposer sur lui, son regard plongeant dans le sien.

Je ne sais pas vraiment Oli... Il va m'emmener au nord, vers chez lui. J'ai essayé d'en savoir plus mais... Je pense que ça a un rapport avec notre famille, celle de son côté. Quand j'essaie d'en parler il a l'air bien soucieux, ça ne lui ressemble pas. Ca doit être important, et pas vraiment rose si tu veux mon avis...

Petit sourire en coin, elle le voyait venir avec son challenge à la nage. Elle perdrait l'avantage de sa carrure, mais elle était plutôt bonne nageuse et avait une bonne apnée. Le défi en valait quand même la peine se dit-elle.

Très bien mon Baron! Avec la traversée du Gouët si vous y tenez! dit-elle avec un air de défi en riant aux éclats.

Puis cette conversation à propos de son départ prochain avec son oncle nordique, qui lui laissait un goût amer dans la bouche à chaque parole ajoutée. Elle prit ses mains dans les siennes, jouant avec ses doigts tout en le regardant.

Nous n'avons jamais pu honorer nos morts, peut-être a-t-il décidé qu'il était temps enfin... Quand nous sommes partis nous étions en fuite, nous avons laissé un amas de cadavre derrière nous sans pouvoir jamais retourner sur ma terre, en Écosse, pendant plus de dix ans, dit-elle gravement.

C'est possible que ce soit ça, ou peut-être n'a-t-il plus de nouvelles de sa famille en Norvège et que cela l'inquiète...

Que s'est-il donc passé pour que vous ayez du prendre la fuite ?

Tout dire ou non, telle était la question. Toutes les personnes qui avaient su son histoire avaient finit par périr. Hormis Halvard, personne encore en vie pour savoir qui elle était. C'était long et pas folichon, elle préféra résumer dans les grandes lignes pour le moment, et ne pas gâcher cette douce après-midi.

Querelles de clans si j'ai bien compris. J'avais huit ans alors je ne vois peut-être pas tous les détails. En bref, une nuit mon père, mon petit frère et ma mère enceinte ont été assassinés, comme beaucoup d'autres membres du clan de mon père. Tout était en flammes, ça hurlait de partout. Halvard m'a trouvé et m'a protégé dans notre fuite vers le sud. Il ne reste plus que nous à notre connaissance. Acheva-t-elle sur un ton glacial.

Elle gardait volontairement la suite de son passé sous silence. Tant qu'il ne lui demanderait rien elle ne voyait pas l'intérêt de tout révéler, d'autant plus qu'elle avouerait des choses certainement problématiques pour lui.

Il restait silencieux à l'écouter. Peut-être un peu distant pensait-elle. Ce sentiment la mis mal-à-l'aise, d'autant plus à cause du secret douloureux qu'elle venait de partager avec lui.

La jeune rouquine coupa court en quittant son regard pour reporter le sien sur les cailloux de la petite rivière. Elle se mit à fouiller sous l'eau pour en trouver une qui lui plairait, et qu'elle garderait en mémoire de ce moment particulier avec lui. Elle la taillerait pour la porter dans une de ses tresses, où elle avait accumulé déjà bien des trésors et des souvenirs. Mais celui-ci aurait une signification spéciale et chère à son coeur.